Ça se passe comme ça à l’église de Taverny : Madame le Maire prend le micro en fin de messe pour contredire le prêtre

On s’attendrait à ce qu’une église, comme n’importe quel lieu de culte, soit un monde à part, sacré comme on dit, c’est-à-dire qui maintienne à l’extérieur de son enceinte la violence et le désordre de la vie de tous les jours. A fortiori le jour où l’on fait mémoire de la paix, après tant d’hécatombes, ce 11 novembre 2018. Mais, ici comme ailleurs, des digues qu’on croyait invincibles cèdent, et la marée des passions menace de tout engloutir.

À Taverny, ce n’est qu’une violence verbale, mais tout à fait inattendue, qui s’est imposée dans l’église Notre-Dame, en ce dimanche où la messe était en lien avec la commémoration de l’armistice. À la stupeur générale, Madame le Maire s’est en effet permis de riposter au curé de la paroisse à la toute fin de la messe, suite à ce qu’elle avait perçu, dans le sermon qu’il avait prononcé, comme une agression caractérisée à l’encontre de son équipe municipale. Allant jusqu’à s’opposer à l’invitation qu’il lui avait adressée de se joindre à lui dans la procession pour aller fleurir le monument aux morts, elle s’est emparée du micro et a complètement détourné la messe au profit de sa vindicte, au risque de porter atteinte à la paix que les uns et les autres avaient pu gagner sur eux-mêmes au cours de cette eucharistie, sans parler du symbole de réconciliation entre les anciens belligérants que constituait la participation d’une délégation officielle de la ville jumelée de Lüdinghausen. Madame le Maire ravalait d’un coup la messe au niveau des invectives qui abondent sur les réseaux sociaux, cette fameuse passion du clash qui fait tant fureur.

Mais qu’est-ce qui avait bien pu nourrir la colère de ce Maire, au point d’en oublier la bienséance la plus élémentaire ? La teneur de l’homélie du prêtre. On sait que celui qui célèbre la messe ne se contente pas de donner lecture d’un extrait des Évangiles que l’Église a retenu pour la liturgie, il doit y puiser un enseignement qui rapproche les fidèles de l’esprit de Jésus, et un enseignement qui parle à ceux qui sont présents ce jour-là devant lui. Il va de soi que si d’autres personnes assistent à la messe en simples observateurs, ils n’ont pas à se sentir concernés par les propos qui sont tenus. Voici le début de l’extrait de l’Évangile de Marc que le prêtre eut à lire :

Dans son enseignement, Jésus disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. » (Marc, 12, 38-40)

Le célébrant entama son sermon en pointant la difficulté de l’exercice. Il se devait de commenter des propos de Jésus mettant en cause des personnages officiels, les « scribes », le dimanche où justement un parterre d’autres officiels, les élus municipaux, avec leurs écharpes tricolores, étaient présents dans l’assemblée. Dans les deux cas, ces personnes sont effectivement honorées (le mot « honneur » apparaît deux fois dans le texte, ainsi que le mot « apparat », qui signifie un luxe ostentatoire lié à une position élevée dans la société), ils sont investis d’une charge publique, ils bénéficient de places réservées aux premiers rangs dans les assemblées. Le prêtre prit donc la liberté de développer le parallèle entre les scribes et les responsables politiques, en en appelant à la conscience de ces derniers. Mais parce que la leçon se voulait amicale, il leur concéda d’abord qu’il n’y avait aucun mal à prendre du plaisir à se sentir quelqu’un d’important. Puis il énonça quelques principes concernant la morale publique. Un responsable est au service des autres ; si on lui rend des honneurs, ce n’est pas en raison de sa personne mais en vertu de la fonction qu’il occupe. On ne doit pas juger de la moralité de quelqu’un sur les apparences, mais en fonction de ce qu’il a au fond de son cœur.
Ces préconisations, auxquelles on ne voit pas comment on pourrait ne pas souscrire, eurent un effet particulièrement irritant sur Madame le Maire, qui s’emporta donc à la fin de la messe, au point d’en remettre en cause le bon ordonnancement. Passé les remerciements à tous ceux qui avaient contribué à la beauté de la cérémonie, en particulier la chorale des jeunes du Conservatoire municipal, elle en vint à ce qui motivait cette prise de parole sauvage : le curé était bien outrecuidant de laisser planer un doute sur la moralité de son équipe. Les élus représentent la République, donc ils sont dévoués, désintéressés et intègres par définition. Et elle osa, retournant comme une arme l’homélie contre celui qui l’avait prononcée, dire que les responsables politiques n’avaient aucun rapport avec les scribes dont il était question dans l’évangile, que bien au contraire c’était les curés qui étaient les descendants des scribes. La flèche fut décochée telle quelle contre Monsieur le Curé : « les scribes sont les ancêtres des curés ».

Comment comprendre qu’une personne puisse s’autoriser de son mandat municipal pour perturber ainsi une messe, se permettant de surcroît de contester un prêtre sur une question, qui demandait à être soigneusement soupesée ? Du temps de Jésus, le grand Temple était le cœur névralgique de Jérusalem, tout y était traité : administration, affaires, commerce, sacrifices d’animaux, prières, formation spirituelle, etc. On considère que 8 habitants de Jérusalem sur 10 vivaient de l’activité du Temple. Les scribes n’étaient pas attachés au culte, ils étaient les spécialistes de la Loi, fondée à l’époque sur les saintes écritures, la Torah, et son commentaire oral. Ils étaient des personnages publics très populaires, auxquels étaient conférées de grandes responsabilités, et auxquels par conséquent étaient rendus toutes sortes d’honneurs.
De toute façon, le sermon de la messe dominicale n’a pas essentiellement pour but d’apporter un éclairage historique sur l’évangile, mais de rendre sa lettre vivante à ceux qui lui tendent l’oreille. De toute évidence, le prédicateur a su remuer les cœurs, mais sûrement pas comme il le souhaitait.

Cet incident sans précédent de mémoire de Tabernacien révèle l’extrême susceptibilité de notre édile qui n’a pas pu supporter cette petite leçon de morale élémentaire, que tous les fidèles pourtant pouvaient adapter à leur cas. Qu’il semble loin le temps où un Bossuet pouvait sermonner les puissants : ils savaient s’incliner face à une puissance supérieure à la leur. Un Maire, a fortiori ceint de son écharpe tricolore, outrepasse les limites de son autorité quand il se croit fondé à contester publiquement l’enseignement qui vient d’être délivré par le ministre du culte. Une question s’impose donc : le pouvoir municipal a-t-il à se mêler au sacré s’il n’est pas capable de se contenir ?

Djissi

2 Commentaires

  1. Nul ne peut se prévaloir d’ignorer ou de méconnaître les lois de la République laïque pour sa défense ou celle d’un autre. Non seulement pour un journal « citoyen » et de surcroît pour un curé français quant il s’agit de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Je rappellerai donc qu’en son article 25, cette loi stipule que « les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. » , et en son article 34 que « tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros. et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement. La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s’il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881. ».
    Par ailleurs, le code général des collectivités territoriales précise que le maire est l’autorité de police administrative au nom de la commune, qu’il possède des pouvoirs de police générale lui permettant de mener des missions de sécurité , de tranquillité et salubrité publiques. qu’il exerce ses pouvoirs sous le contrôle administratif du préfet. Par ailleurs, en sa qualité d’officier de police judiciaire, le maire est tenu de signaler sans délai au procureur de la République les crimes et délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
    Il n’y a pas eu interruption du culte par les autorités civiles (qui a donc pu librement se poursuivre) puisque la prise de parole, en exercice d’un droit de réponse, s’est produite à l’issue de la célébration au moment même où les autorités civiles prenaient le « relai » pour la suite des cérémonies.
    La question finale de votre article pourrait donc tout aussi bien être inversée ? Le « vivre ensemble », slogan incantatoire de notre République en panne d’intégration d’individus et de communautés de plus en plus égocentrés, pourrait bien commencer par le respect le plus élémentaire des règles de politesse et d’hospitalité que l’on doit à ceux que l’on reçoit, que l’on vous rende visite par devoir ou par sympathie.

    • Nous vous remercions pour ce rappel à la loi de 1905, toutefois le choix des articles retenus au regard de la leçon que nous sommes supposés en tirer ne nous paraît pas des plus pertinents.
      S’agissant de l’art 25 : personne le jour du 11/11, pas davantage le texte que nous avons publié, n’a contesté le fait que la « réunion » religieuse en l’Eglise de Taverny ait pu être autrement que plublique et les portes de l’Eglise n’ont pas été fermées aux élus locaux.
      Quant à imaginer que l’équipe municipale ait pu venir assister à la messe donnée en ce dimanche de commémoration dans le seul but de « surveillance…dans l’intérêt de l’ordre public » : que dire ?
      La référence suivante (art 34) visant des propos pouvant faire l’objet d’amende, voire de peine de prison, nous semble quelque peu exagérée : cela sous-entendrait que les propos du prêtre aient pu être insultants ou diffamants, ce qui n’est pas le cas.
      Que Mme le Maire se soit sentie visée par la lecture de l’Evangile selon Saint Marc, ne regarde qu’elle et sa conscience. Nous ne voyons nullement en quoi la lecture de l’Evangile, pas davantage que les propos qui ont suivi aient pu impliquer un « droit de réponse » à qui n’aurait pas dû se sentir offensée. Qu’y-a-t-il qui ne soit vrai dans la morale du prêtre qui ait pu toucher Mme le Maire au point de se sentir obligée de « répondre » comme elle l’a fait ?
      A tout le moins, la messe et les propos du prêtre en cette matinée du 11 novembre n’ont pas été de nature à troubler l’ordre public, de sorte que les pouvoirs de police du Maire auxquels vous faites référence n’avaient pas lieu de s’appliquer, sauf à considérer un abus dans l’exercice de sa fonction.

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