L’histoire édifiante d’Alain Duval, lycéen de Taverny sauvé par la musique

Aujourd’hui, nos pérégrinations nous mènent sur les traces d’un ancien collégien et lycéen de Taverny qui a su cultiver un instinct inexpliqué et en faire une passion. Ce « quelque chose de profond » en lui qu’il a su maîtriser est devenu un art qui a pris une importance centrale dans son existence.

 

Lorsque je lui demande ce qui l’a amené à la musique plutôt qu’à une autre forme d’expression, Alain me parle calmement, mais à l’intérieur, il m’assure que tout bouillonne encore comme au premier jour…

 

« Côté sport, en dehors du collège et des années-lycée à Taverny, je me souviens que j’aimais pratiquer le hockey sur glace à Franconville mais comme je ne suis pas un sportif endurant et que je rechignais à m’entraîner, je n’ai pas progressé… Je ne devais pas être assez motivé en tout cas parce que j’ai arrêté rapidement. »

 

Dommage…tu avais déjà à ce moment-là le besoin de te défouler dans une activité « robuste » ?

 

« Ce qui est sûr, c’est que j’étais très axé sur des occupations à caractère « physique », comme pas mal de jeunes. Lorsque j’ai été immobilisé par une grave fracture à l’âge de 14 ans, je me suis orienté vers le dessin, mais je n’ai pas pratiqué suffisamment longtemps, alors j’ai atteint un niveau agréable mais en pur autodidacte. Là aussi, ça me plaisait bien mais… encore une fois, je n’y ai pas mis assez d’acharnement. Le souvenir très net de cette époque c’est d’avoir pensé à une activité complètement sportive et artistique à la fois et que je pourrais pratiquer en étant totalement immobile sur ma chaise ! La quadrature du cercle, en somme… mais… j’ai disposé sur une table des coussins en rond sans trop savoir pourquoi… et j’ai commencé à frapper pour émettre un son mat mais puissant.

 

J’ai débuté instinctivement l’activité de percussion de cette façon et c’est encore très mystérieux pour moi, parce que je n’ai aucune explication rationnelle à cela, mais je suis persuadé que c’est une activité consubstantielle à la condition humaine. Il devait y avoir quelque chose de profond en moi pour me pousser à taper sur une plaque en caoutchouc pendant presque six mois quand même ! »

 

C’était donc une attirance viscérale ?

 

« Absolument ! J’avais pris des cours de piano avec une prof. qui m’avait fait débuter avec La balançoire et là c’était l’aversion totale, j’ai fui immédiatement. J’ai retouché plus tard au piano mais pour composer uniquement, car je ne suis pas instrumentiste. Je n’ai pas non plus oublié les séances de flûte au collège du Carré Sainte-Honorine à Taverny sur du Haendel… tout ça n’avait aucun sens pour moi, je n’y voyais rien d’enthousiasmant ni de cohérent. »

 

Police et Farinelli

 

« La révélation esthétique totale et immédiate a été d’entendre un jour le tube planétaire de The Police à la radio, Roxanne. La rythmique est tellement syncopée et décalée sur ce morceau que ce fut un choc acoustique dont je ne me suis jamais remis ! La voix « Farinellienne » de Sting partant dans les aigus sur ce titre a retenu immédiatement mon attention. À l’époque on en était quand même à Born to be alive de Patrick Hernandez et YMCA des Village People : forcément, c’était tellement différent et original d’un point de vue artistique que j’ai dressé l’oreille. Tout naturellement, Stewart Copeland est devenu mon idole parce que j’avais compris à ce moment-là que la batterie serait mon instrument de prédilection. »

 

Pour quelle raison as-tu été conquis à ce point par l’instrument ?

 

« L’esthétique globale de la batterie m’a attiré car l’instrument est constitué de nombreux composants de percussion différents qui forment un tout cohérent et doit être piloté des quatre membres de manière indépendante : on arrive par un assemblage complet et logique à une forme de totalité. C’est un défi pour le cerveau mais j’avais la chance de posséder une indépendance des mains et des pieds déjà naturellement constituée. Alors j’ai attrapé des baguettes et j’ai quasiment commencé à jouer sans préalable et sans m’en rendre vraiment compte, c’est venu naturellement. »


Toujours ton côté « dépassement de soi par l’action » ?

 

« Mon tempérament est effectivement impulsif et le côté faussement accessible de l’instrument (c’est toujours ce qu’on pense au début, mais c’est faux) a participé aussi à ce choix. L’engagement très physique que cela nécessite, la performance que cela implique (le côté masculin bien sûr…), le côté spectaculaire, tout cela a dû jouer aussi. Je sentais que j’avais besoin de canaliser mon trop-plein d’énergie. »

 

Pourtant l’instrument n’était pas aussi valorisé qu’aujourd’hui à cette époque ?

 

« La batterie a toujours été plus ou moins centrale depuis son apparition au début du XXe siècle mais elle n’était pas sur le devant de la scène au départ : elle est liée à la naissance du jazz qui à l’époque était une musique destinée à faire danser. Les batteurs n’étaient pas vraiment considérés comme des musiciens mais leur rôle était d’impressionner pendant le show, comme Chick Webb, Baby Dodds ou Gene Krupa par exemple. Buddy Rich était un technicien hors pair mais surtout un sacré frimeur, alors la batterie a peu à peu évolué vers une forme de spectacle à part entière… Quant à Louie Bellson, pour ne citer que lui, c’est un formidable batteur de Big Band capable de réaliser des soli spectaculaires pendant lesquels même les non-musiciens ne s’ennuient pas : c’est prodigieux ! Aujourd’hui, le niveau technique est très élevé mais malheureusement musicalement, ce n’est plus guère créatif et je le déplore… Certains batteurs réalisent des prouesses que je trouve assez vite ennuyeuses (le style mitraillette sur des mesures impaires ça saoûle rapidement…). Terry Bozzio reste pour moi le seul grand technicien intéressant et musical sur sa batterie hors normes et même démesurée : c’est un « alien » ahurissant avec 67 ans au compteur tout de même, bravo l’artiste ! »


Quel chemin as-tu l’impression d’avoir parcouru depuis tes débuts jusqu’à maintenant,  lorsque tu regardes ton trajet ?

 

«La musique est réellement devenue un pilier de mon existence. J’ai toujours pratiqué l’instrument, toujours fait partie de groupes musicaux de plusieurs styles et versions différents (rock, pop, trio, quartet, big band jazz…) tout en progressant dans un milieu professionnel qui n’a rien à voir (la monétique), j’ai donc l’impression d’appartenir à deux mondes totalement parallèles, ce qui n’est pas forcément désagréable. »


Est-ce que ça a changé ta vie d’adolescent ?

 

« Mais ça m’a juste sauvé la vie ! Il faut absolument le souligner, ça ! La batterie m’a donné un vrai but et la volonté d’atteindre un seul objectif : faire de la musique quoi qu’il arrive. Heureusement, notre groupe de lycéens-rockers bruyants mais créatifs a pu trouver asile dans un local municipal qui dépendait de la MJC et s’appelait la salle Boris Vian. C’était apaisant, en plein milieu de grands espaces verts isolés derrière la piscine de Taverny. Il est essentiel de laisser de vastes espaces de respiration non urbanisés au cœur des villes pour que les jeunes de cet âge puissent se chercher et se trouver à l’abri du regard (et des oreilles) des adultes ! Nous avons composé nous-mêmes nos textes et nos musiques d’adolescents pendant plusieurs années et même donné des mini-concerts dans cette salle construite spécialement pour les jeunes. Mine de rien, une solide confiance s’installait en nous. Tous les jeunes devraient pouvoir apprendre à construire petit à petit cette estime de soi qui va leur servir toute leur vie, grâce à une pratique artistique ou sportive. C’est un cheminement qui peut être long et doit pouvoir se faire en dehors des « écoles » proprement dites si nécessaire. »


Si tu devais recommander la batterie quels arguments mettrais-tu en avant ?

 

« C’est un « instrument-sport » qui permet d’apprendre la coordination et qui façonne et harmonise la musculature du corps. Comme pour tout autre instrument, on développe sa culture musicale et le travail en groupe. Même si on ne continue pas, l’indépendance acquise demeure à jamais ainsi que les facultés de concentration. En résumé, c’est bon pour l’esprit et le corps si on respecte les règles de base de la posture et de l’assise. »


Adressons-nous aux jeunes qui voudraient se lancer, quels efforts cette pratique demande-t-elle vis-à-vis de soi et des autres ? Faut-il avoir des qualités physiques ou mentales particulières  pour réussir ?

 

« Tout dépend de ce que l’on appelle réussir. C’est une pratique qui peut rester un loisir, et alors un niveau moyen permet de jouer avec les copains tout en se faisant plaisir. Dans tous les cas, il faut rechercher le plaisir quel qu’il soit : jouer avec des musiciens, pour sa famille, pour un public, etc.

 

En fait, au début, c’est accessible à tous. Mon petit-fils a commencé à vouloir taper sur une batterie à l’âge d’un an. Ce n’est pas moi qui l’ai forcé, il est simplement venu à quatre pattes me tirer sur le pantalon lorsque je m’entrainais sur une batterie électronique. Je l’ai installé avec un casque sur sa grosse tête de bébé pour protéger ses oreilles et tout en le maintenant, je l’ai laissé faire. Instinctivement, il va frapper au centre une fois sur trois et ça lui suffit pour le moment. Les premiers hommes ont fait la même chose avant lui sur des troncs d’arbres, le rythme est instinctif chez l’être humain…

 

Mais lorsqu’on est autodidacte comme moi au début, on s’aperçoit vite des limites de ce mode de fonctionnement. Je conseille donc de prendre des cours et en ce qui me concerne, il a fallu tout reprendre à zéro. N’oublions pas ma pratique de la plaque en caoutchouc pendant six mois qui était loin d’être suffisante !

 

À mon avis, si on veut aller plus loin et profiter de l’instrument au maximum, il faut surtout approfondir sa connaissance du solfège. Le solfège rythmique est primordial dans un premier temps, il convient ensuite d’aborder l’harmonie car un batteur complet se doit d’avoir de bonnes connaissances musicales. Pour se lancer en professionnel, il faut au préalable un solide bagage pratique et théorique acquis et validé dans une école spécialisée ou un conservatoire. Personnellement, j’ai suivi la fameuse méthode Agostini pendant 5 ans jusqu’à l’examen final et j’ai même commencé à travailler juste pour payer les cours que je prenais régulièrement à Paris. Je ne les aurais manqué pour rien au monde tellement j’avais besoin d’une structure et de cette nourriture aussi importante que mes trois repas par jour. Avec ce cursus, je savais que je pourrai jouer toutes les musiques, harmonies, tonalités. Ça a été difficile et même très compétitif, mais aujourd’hui je n’ai peur de rien musicalement. J’ai un niveau technique qui me permet de tout aborder sereinement dans toutes les formations, et donc dans les deux groupes auxquels j’appartiens.

 

Pour atteindre un niveau correct, cela dépend des personnes mais en général, il faut travailler quotidiennement pendant des heures. Forcément, cela implique de s’isoler et côté famille, ce n’est pas toujours facile. Il faut donc savoir gérer son temps et ne pas laisser l’instrument devenir une obsession. L’endroit où jouer sans gêner les autres peut poser problème aussi, il faut trouver un local ou disposer d’une pièce insonorisée. Mes parents ont eu des problèmes de voisinage au début dans leur pavillon et je pense que tous les batteurs se reconnaîtront dans ce « détail ». Effectivement, les répétitions avec la musique de Motörhead ne sont pas toujours du goût de tout le monde… Sans aller jusque dans ces extrêmes, il faut savoir qu’il y a des contraintes fortes à cette pratique pour l’entourage direct. Pour moi, ce fut rapidement bénéfique d’avoir trouvé un certain équilibre mais il a fallu jongler avec un emploi du temps chargé en particulier à cause du travail personnel à fournir –entraînement technique, répertoires- et des répétitions. »

 

 

Côté finances, la pratique de l’instrument nécessite-t-elle un budget conséquent  ?

 

« Là encore, tout dépend de ce que l’on veut : de nos jours, il y a de nombreuses batteries de bonne qualité à partir de 200 € mais dédiées à un usage débutant. En général ensuite, on a envie d’avoir mieux et là, ça peut vite monter… j’ai eu ma période batterie « Cerrone » à 12 fûts et 3 grosses caisses, ça coûte cher évidemment ! Maintenant, je suis plutôt vintage années 1960 à 3 fûts et ça coûte cher aussi… »

 

Mais finalement, l’investissement vaut sans doute la peine vu le bénéfice que tu as trouvé ?

 

« Absolument, j’ai l’impression d’être totalement responsable de la conduite de la musique quand je joue, comme un pilote d’avion qui contrôle son appareil et mène ses passagers en toute sécurité vers leur destination. Après chaque fin de concert, il y a juste un effet de chute avec une sensation de vide qui peut être mal vécue après un tel dépassement de la réalité. Mais après tout, cela prouve que, comme c’est le cas j’imagine pour pratiquement tous les musiciens, il y a un « transport » dans une autre dimension lorsqu’on joue de son instrument. »

 

Tu as la sensation d’être particulièrement valorisé lorsque tu joues devant un public ?

 

« Certes et c’est déjà une plénitude en soi, tant la reconnaissance des autres est un besoin humain fondamental et universel, mais surtout, j’ai la sensation d’être à ma place dans ce monde. »

 

Y aurait-il une satisfaction plus importante que celle-là ?

 

Bravo Alain, d’avoir su identifier les contours de ton rêve dans une belle salle au milieu des pelouses de Taverny avec tes copains de lycée. Trouver l’espace et la tranquillité pour se construire sereinement en groupe, voilà tout l’enjeu de ce que nous devons proposer à nos jeunes générations. Elles doivent pouvoir s’approprier leur destin et trouver leur propre harmonie, c’est tout simplement vital.

 

A découvrir sans plus tarder :

 

Novel Way

http://novelway.wixsite.com/novelway
https://soundcloud.com/novelway

 

No Blush

https://soundcloud.com/no-blush 
https://youtu.be/fSeP5QCZxyA

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