Marc Desreumaux, Tabernacien et auteur du feuilleton littéraire « Mon Mai 1968 »

Marc, comment t’est venue cette idée ?

L’an dernier à l’approche du cinquantenaire de mai 68, je me doutais que la presse allait utiliser les mêmes clichés qu’à chaque anniversaire. Ce traitement dans les marronniers de la presse ne reflète pas ce que j’avais ressenti en 68. D’où mon désir d’écrire ce que j’ai vécu, ou du moins ce dont je me souviens. J’ai eu envie de témoigner et de raconter à mes petits-enfants ces instants hors normes qui ont marqué ma jeunesse. J’aspirais aussi à raconter ce que vivaient ma famille et celle de ma fiancée, et parler aussi d’un groupe d’une vingtaine de jeunes de 16 à 24 ans, soudé, sur lequel mai 68 a eu un impact très fort.

 

Quel angle as-tu choisi pour raconter cette histoire ?

Le point de vue est celui de l’enfant, puis du jeune de banlieue lycéen puis de l’étudiant. A cette époque nous n’étions pas si nombreux en banlieue à poursuivre des études à Paris. Cela se retrouve dans les témoignages les plus fréquemment repris par la presse souvent amenés par des étudiants issus des lycées parisiens et de grands lycées de province. Il me semblait naturel d’opter pour cet angle narratif, et de le faire en mêlant l’analyse des événements avec le quotidien d’une famille des années 50 et 60 d’une commune de Seine-Saint-Denis, ce département lui aussi créé en 1968 à l’occasion du démembrement de l’ancien département de la Seine. Néanmoins, à la réflexion, cet angle de narration occulte certainement beaucoup trop ma vie dans des groupes de jeunes, qui prenait une part considérable à l’époque.

 

Pourquoi être remonté jusqu’aux années 50 ?

Une partie de notre révolte s’explique par tout ce que nous, les jeunes, ressentions : l’image de la cocotte-minute l’illustre bien. Nous nous considérions comme enfermés, et le jour où la soupape a claqué, tout est sorti. On se sentait enfermé par toute une série de conventions et d’habitudes : la vie en société était très conditionnée. Ce n’était pas seulement une affaire de politique mais bien la remise en cause de codes, de coutumes, de manières de vivre. Me concernant et dans mon entourage, il y avait une perception forte d’injustice sociale, mais aussi de la volonté de s’en sortir. Ce sentiment était alimenté entre autres par la conscience de la puissance des institutions : l’église, le politique à tous les niveaux, l’école, l’université, l’entreprise, les syndicats, et même les mouvements de jeunesse ou d’éducation populaire. Nous étions convaincus qu’aucune de ces institutions n’allait changer d’elle-même, et nous étions persuadés que nous pouvions participer, infléchir ou même initier nous-mêmes les changements souhaités.

 

Ton feuilleton comprend des séquences différentes qui parfois s’accélèrent : quel en est le principe ?

J’ai organisé le récit en trois grandes parties. La première se déroule de 1958 à 1968 : elle relate ce qui a précédé, l’ambiance qui régnait dans une famille de banlieue. La deuxième partie raconte l’enchaînement des événements de mai à octobre 1968 tels que je me souviens les avoir vécus, entremêlant vie privée et histoire publique. La troisième partie s’interroge : en quoi ces événements m’ont-ils changé et ont-ils changé ou pas la société ? Je suis d’ailleurs surpris par certaines analogies entre ce moment particulier de l’histoire moderne française et ce qui est vécu aujourd’hui.

La publication au fil de l’eau sur www.letabernacien.fr sous forme de feuilleton m’a obligé à rendre chaque épisode autonome, tout en assurant bien sûr une continuité du récit. Ainsi chacun peut choisir de tout lire ou de s’intéresser à une des périodes seulement.

 

Cette expérience d’écriture a-t-elle changé ton regard ou déclenché une nouvelle prise de conscience ?

J’ai choisi d’écrire en étant le narrateur. La mémoire m’a joué des tours, mais d’un autre côté  un grand nombre de souvenirs se sont réactivés. Cette plongée dans mes souvenirs et dans leur analyse a accentué mon questionnement entre autres sur la manière dont ma femme (ma fiancée de l’époque !) et moi  avons éduqué nos enfants : nous avons essayé de choisir une voie d’équilibre, en nous demandant ce qui dans notre manière d’être et de faire constituait des contraintes inutiles ou au contraire des zones de trop laisser-faire. Comment conduire chacun des enfants sur la voie d’une plus grande autonomie ? Tous les parents se posent ces questions, mais sur ce sujet j’ai été très influencé par ces événements de 68, et j’en fait part dans la troisième partie du feuilleton.

En sus de mon métier d’ingénieur, j’ai enseigné plus de 40 ans, notamment en Systèmes d’Information et de Connaissances à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de l’Université Paris 1, et à ce titre je ne pouvais que questionner les pratiques de l’université au regard des questions posées par mai 68, et tenter de les infléchir. Par exemple nous avions réussi à monter des enseignements de DESS ouverts aux travailleurs, en cours du soir. Mais nous n’avons pas pu tenir, et cela s’est arrêté : nos initiatives issues des aspirations de mai 1968 ont été broyées par la machinerie administrative.

 

Cette aventure littéraire t’a-t-elle transformé ?

C’est une expérience forte. Je l’ai fait car j’ai été encouragé par la dynamique du journal et surtout soutenu par une autre bénévole de l’association Tavernynov qui édite Le Tabernacien. Le Tabernacien avec sa dimension atelier d’écriture a créé les conditions favorables. Ensuite une fois qu’on est lancé, cela demande un effort et du temps mais cet effort apporte beaucoup. Ne serait-ce qu’en offrant la possibilité de s’exprimer de nouveau.

 

Une envie d’écrire sur d’autres sujets, ou d’aider les autres à écrire ?

De manière générale j’incite chacun à s’exprimer, à sa manière, ce que je fais également avec l’aquarelle. L’écriture est accessible à tous, d’autant plus avec un peu d’aide. Je fais le lien avec l’aide que j’apporte à des étudiants en ce moment pour leur mémoire dans le cadre d’une autre activité de Tavernynov : réussir à convaincre l’autre que ce qu’il a à dire ou écrire est riche et pertinent est très épanouissant. La plupart des gens ont des capacités qu’ils sous estiment : cela paraît un effort démesuré de construire un discours. D’où l’intérêt de commencer avec quelqu’un qui met en confiance, qui donne de la méthode, et aide chacun à se rendre compte qu’il peut réaliser ou relater de grandes choses. Quand je vois la vie dans certains quartiers, je ressens parfois la même frustration que ce que je ressentais à la fin des années 60 à Stains : cette impression qu’ont les habitants d’être coincés dans des impasses sociales, scolaires ou professionnelles qui nourrit une forme de rage d’impuissance. Or il n’y a pas de fatalité, on peut et on doit ne pas l’accepter et le changer, à commencer en s’exprimant.

 

« En s’exprimant » : la liberté d’expression semble être parfois remise en cause, cela reboucle avec une des aspirations de mai 1968 ?

Oui il faut oser s’exprimer. Lorsqu’on se sent enfermé, qu’on a l’impression que rien n’est possible, il faut commencer par oser dire les choses malgré les menaces et les contraintes. Cela rend service à l’auteur, à celui qui raconte et cela peut intéresser les autres : j’espère donc que le feuilleton « Mon Mai 1968 » intéressera, et je suis ouvert à tout échange avec d’autres tabernaciens curieux ou passionnés par ce sujet, ou intéressés par le fait de raconter leur histoire.  

 

Propos recueillis par Thomas Cottinet

Feuilleton à retrouver sur www.letabernacien :

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