Spinoza et la banlieue, où quand la discussion du Café Philo sur « La Banlieue » se poursuit
Une banlieue à la fois objet de la philosophie et lieu de la philosophie : Vincent Houillon partage ses réflexions proposées lors de l’atelier débat sur la philosophie en banlieue – retrouvez l’intégralité de ce texte sur www.letabernacien.fr
Errant dans la littérature philosophique à la recherche des mentions de la banlieue, et poursuivant mes lectures professionnelles de professeur enseignant en banlieue (Le Raincy), j’ai été intrigué par la mention répétée, mais non thématisée, de la banlieue dans l’existence de Spinoza. Gilles Deleuze l’expose dans le chapitre premier « vie de Spinoza » de son livre Spinoza, Philosophie pratique. Ce texte de Deleuze est à mille lieues d’une réflexion sur la banlieue. “A mille lieues” indiquant même la distance où est mise la banlieue elle-même, quand elle signifiait le ban d’une lieue, c’est à dire la distance sur laquelle régnait la juridiction de la ville. La lieue de la banlieue est une distance, un périmètre englobant des réalités naturelles ou vitales soumises à l’emprise de la ville et de ses institutions (…). La banlieue y désignait alors un lieu d’éloignement du tumulte de la ville et de ses dangers du pouvoir, où pouvait se déployer la pensée philosophique de Spinoza et sa vie préservée des menaces. C’est en banlieue de la ville, selon la définition de la banlieue comme l’étendue urbaine au bord et en dehors de la ville centrale, du centre de la ville, que Spinoza trouve les conditions de la pensée philosophique. La banlieue est alors le lieu même du philosopher. On assiste là d’une certaine manière à la transformation du lien philosophie-cité dont Socrate était l’incarnation dans son identification à la ville d’Athènes : une fois, il s’éloigne de la ville (dans le Phèdre), et c’est expressément mentionné, pour philosopher. Mais la sortie de la ville n’est pas la banlieue alors au Vème siècle avant JC mais la nature. (…)
Si la philosophie a pour condition un certain éloignement, cet éloignement, c’est le sens même de banlieue !! Spinoza est mis au ban de la communauté juive d’Amsterdam. Il trouve refuge dans une ville-banlieue, dans une banlieue de la ville, où il va pouvoir exercer un métier et sa pensée : la banlieue est le lieu d’exclusion et lieu à l’écart pour penser à l’écart. (…)
L’installation en banlieue est aussi l’occasion de la formation d’une nouvelle communauté d’amis, de philosophes, non pas d’une école de pensée mais d’un lieu où penser à l’écart des menaces ou des normes de la cité. Spinoza pense dans les banlieues des villes où se déploient le capitalisme hollandais, construisant le maître livre, l’Ethique (…)
La banlieue, loin d’être l’absence de lieu ou le ban du lieu ou le non-lieu de la pensée (une zone de non-lieu où la pensée n’aurait pas droit de cité !) est bien plutôt un lieu, voire le lieu de la pensée ! Et c’est de ce lieu de la pensée qu’il faudrait relancer la critique d’une des pensées les plus communes, non seulement dans la pensée commune mais aussi dans la pensée philosophique, de la banlieue comme le lieu même de l’absence de pensée ! C’est le premier sens de mon ouverture à la discussion qui se veut une déclaration de penser en banlieue contre les penseurs (ou idéologues) de la destruction de la pensée dont la banlieue serait le nom. Banlieue n’est pas le nom de l’absence de la pensée, de la défaite de la pensée, ou alors seulement le lieu d’une certaine « dé-faite » de la pensée, qui la dé-fait pour en re-faire, pour à nouveau rendre possible qu’une pensée se fasse et ne s’efface pas…(…)
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